Errer, naviguer
Errer au fil des eaux
Tendre l’oreille aux paysages liquides
Aux méandre sinueuses
Aux ports ouverts au monde
À leurs cosmopolitisme sonore
L’échappée bleue comme horizon
Revenir vers les rus
Pénétrer la campagne
Où les eaux se ruissellent
Traverser la forêt
Avec ses mares au diable
Naviguer les marais
Dans de labyrinthiques voies d’eau
Retrouver la Vouivre et le Tarasque
Le Drac et les Naïades
Ophélie et les Sirènes
Entendre les moulins
Même ceux immobiles et muets
Clapoter les pieds dans l’onde
Longer les rives chahutées
Errer, naviguer
De trames bleues bouillonnantes
En nappes étales dites dormantes
Marcher les chemins de halage
Et traverser des ponts
Sauter sur les pierres d’un gué
Prendre un bac traversant
Contempler la marée
Entendre les ressacs
Et les cailloux roulés
Et les cailloux jetés
Surprendre les grenouilles
Plongeant à notre approche
Après de sauvages coassements
Écouter les branches d’un saule
Titiller les eaux sous le vent
Les harangues de canards barbotant
Les vrombissements de zodiacs bondissants
Les rires de jeunes baigneurs
Le déversoir d’une digue trop pleine
Un délestage d’une centrale électrique
Sur un torrent montagnard
Les flic-flic spongieux
D’une tourbière ancestrale
La réverbération miroir
D’un large fleuve roulant
Des arbres charriés après la pluie d’orage
Le sifflement de cannes à pêche au lancer
Le rembobinage de moulinets véloces
Le ploc de bouchons colorés
Les eaux fendues par l’étrave
Leș vaguelettes inondant la berge
Après le passage d’une imposante barge
Les voix festives une soir d’été
Au bord d’une rivière accueillante
Errer, naviguer
Des ruisseaux familiers
Des rivières inconnues
Des torrents surprenants
Percevoir les rares clapotis
D’un cour d’eau asséché
Par un été trop chaud
Tourner au tour de la fontaine
L’oreille collée à ses ruissellements
Lancer des galets dans l’étang
Voir et entendre leurs ondes de choc
Et les ronds harmoniques
Jouer aux ricochets
Les compter à l’écoute
S’abrutir de bruits blancs
De vagues itératives
De houles déferlantes
Et reprendre son souffle
Au creux humides et sombres
Des étangs forestiers
Errer, naviguer
Fendre les flots indolents
Défaire les barrages brutaux
Laisser l’écoute s’immerger
Courir les berges sans quais
Entendre les chants de l’eau
Les complaintes et mélopées fluentes
Les nappes ondoyantes
Les respirations profondes
Les ondées tambourinantes
L’apaisement d’un fleuve
Les échos des abers
Envahis par la mer
Se laisser irriguer
Par des ondes porteuses
Des flots nourriciers
Des sons désaltérants
Se laisser conter
Les légendes des eaux
Et ses mille récits
Ses monstres immergés
Au creux des sombres puits
Et des sources magiques
Des profondeurs fluviales
Des résurgences en eaux vives
Des fêtes archaïques
D’un Neptune souverain
D’Océan le Titan
De Thétis la Déesse des eaux
Abreuvant nos imaginaires
Débordant de récits en crues
Hors les lits enchâssés
Jusqu’à briser les digues
Mais parfois se tarissent
Les cours et les contes
Dans des flots abimés
Où meurent les poissons
Les coraux et éponges
Asphyxiés de plastiques
Et de mille déchets
De souillures étouffantes
Qui font taire les flots
Les rendent inhabitables
L.es font Inconsommables
Les font mourrir d’assèchements
Les têtards agonisants
Les grenouilles muettes
Comme des eaux de morte Terre
Comme des eaux de morte Mer
Alors promenons nous au fil des eaux
Nos oreilles assoiffées
Installons nos écoutes dérivantes
Réjouissons nous d’entendre encore
Les eaux courantes et fragiles
Et prenons en grand soin
Car lorsqu’elles se tairons
Nous nous tairons aussi.